Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t3.djvu/518

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Si la blessure au sein dont l’humanité saigne
Ce ne fut pas l’amour qui l’a faite en entrant ?
Et si tous ces tourments, ces regrets sans raison,
Ces besoins d’expier jusqu’à l’espoir lui-même,
Ces soupirs, ces langueurs implorant le pardon
D’un crime insoupçonné qui resta sans baptême ;
Si tous ces maux confus qu’une âme réfugie,
Jusqu’au sein du bonheur avivés tour à tour,
Ne nous traduisent point par une nostalgie
Le remords sans péché de survivre à l’Amour ?

Car j’ai crainte souvent de ta beauté sereine,
Et malgré ta lumière où mes yeux vont errer,
Je vois, dans un long deuil qui vient jusqu’à ma peine,
Ta pauvre humanité se douloir d’espérer.
… Je vois la terre et l’onde à tes époques neuves,
Les édens primitifs et les cycles barbares,
Et les grands peuples roux campés au bord des fleuves
Où déjà vers la mer descendent leurs gabares.
… Je vois s’enfler la voile au fond de l’estuaire,
Puis, derrière, au lointain, du côté de la plaine,
Surgir, fondre et passer, l’ouragan pour haleine,
Dans l’éclaboussement du sang crépusculaire,
Et droits sur leurs chevaux cabrés qu’un rut enlève,
Tes grands conquérants noirs, au profil surhumain,
Qui déployant leur geste avec l’éclair d’un glaive,
Engouffrent dans la nuit leurs cavaliers d’airain !
… Je vois s’ouvrir ton ciel écharpé par la foudre,
Et sur le sol qui tremble aux galops éperdus,
Sous la croix d’un cadavre immolé pour l’absoudre,
S’agenouiller le monde avec les bras tendus !
… Je vois la pompe errer du sceptre au tabernacle,
La splendeur flamboyer aux palais des cités
Dont l’oriflamme auvent claque sur les pinacles,
Je vois la pourpre et l’or et les prospérités !…
… Je vois sombrer l’empire et vois les décadences ;
Les trônes s’ébranler aux ressacs populaires,
Et dans l’ombre où les rois font armer leur prudence,
Etinceler soudain le poignard des sicaires !