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toute la perfection de son art, ne peut réaliser, le poète l’exprime, renouvelant ainsi ce rare prodige d’une âme et d’un cerveau magnifiquement doubles. L’éducation de mon magistral élève fut courte. Il avait le sens inné de l’art des vers, et il lui suffit de quelques causeries pour en savoir tous les secrets. En 1875, il publiait son premier recueil : Les Champs et la Mer, en même temps qu’il exposait l’un de ses plus brillants tableaux : Les Feux de la Saint-Jean. Jules Breton aime passionnément sa terre natale. Il en est le peintre et le poète. Il en a peint, en poète, sous tous leurs aspects, au cours de toutes les saisons à toutes les heures, les campagnes infinies, les bois d’une verdure si tendre, les eaux dormantes, les champs de blé, d’œillette ou de colza en fleur, les villages paisibles, les beaux paysans et les belles filles, moissonneurs, faucheurs, laboureurs glaneuses ou sarcleuses. Il l’a chanté, en peintre, cet

Artois aux gais talus où les chardons foisonnent,
Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin…

« Et dans ce vers immense où tient en douze syllabes le plus vaste des tableaux, il a dit toute la beauté du crépuscule sur les plaines :

J’aime ton grand soleil qui se couche dans l’herbe…

« Dans son poème Jeanne, où les vers exquis abondent, des tableaux de la nature variés et justes encadrent des scènes tour à tour émouvantes, amoureuses et tragiques, toujours profondément humaines…

« Comme dans toute l’œuvre du peintre-poète, on admire dans Jeanne un amour fervent de la beauté, l’expression heureusement formulée de vérités et de sentiments éternels, une langue pure, savoureuse et souple, une composition d’apparence très simple et de l’art le plus raffiné, enfin, cette musique divine des beaux vers, qui font de cette œuvre, je ne crains pas de l’affirmer, le plus remarquable des grands poèmes rustiques écrits en français.

« Sa publication fut saluée par un applaudissement unanime : Victor Hugo, Leconte de Liste, Mistral, Taine, Alphonse Daudet, Fromentin, Puvis de Chavannes, pour ne citer que les maîtres, louèrent à l’envi cette Jeanne si touchante et si belle. L’Académie la couronna.

« L’œuvre en prose de Jules Breton n’est pas inférieure à son œuvre poétique. Elle la complète et l’explique en faisant connaître l’homme et le penseur… »

M. Jules Breton est membre de l’Institut et commandeur de la Légion d’honneur [1].

  1. Au dernier moment, nous apprenons la douloureuse nouvelle de la mort de M. Jules Breton, décédé à Paris le 5 juillet 1906.