Page:Walch - Poètes d’hier et d’aujourd’hui, 1916.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Lève-toi, drapons-nous dans les pourpres latines !
On acclame les chars et gaspille les vins,
Et les sables amers qui brûlent les narines
Aveuglent l'horizon des calendes de juin.

Le vent fiévreux charrie une moiteur de grappes,
La terre est jeune encore et le soleil est clair
Sur les seins de Vénus et les flancs de Priape,
Et les trirèmes d'or illuminent la mer !

La vie est neuve au cœur du maître et de l'esclave ;
Nous sommes sûrs de voir et ce soir et demain ;
Les panthères du cirque aiment le sang des braves,
— César vivra sans fin, — préparez le festin !
 
— J'ai rêvé pour ta gloire un poème plus long,
Fiancé de Sporus, bien-aimé des vestales ;
Mais la lyre est très vieille et des stances plus pâles
Le soir glisse déjà sur l'arc-en-ciel des sons.

J'ai rêvé pour ton souvenir le grand cantique
Qui monte au soleil vierge avec les cormorans,
Le chant de joie et de douleur dont la musique
S'enfle et s'écroule dans des rythmes d'océan ;
 
Mais le premier accord s'est rompu dans un rire,
Un rire grave au fond de l'abîme des temps
Où le nom de César et le nom de l'Empire
Sont des feuillets de cendre emportés par le vent ;
 
Et voici, face à face, à présent deux songeurs
Qui se sont réveillés de leur songe de Rome :
Un homme du vieux temps perdu, devant un homme
Qui croit vivre parce qu'il sent battre son cœur ;
 
Deux songeurs buvant du vin pauvre : sur le front
Du premier pâlit l'adieu des lampes qui meurent ;
Les lèvres de celui qui chantait tout à l'heure
S'attristent d'un aveu sans espoir de pardon.

Tu mourus de savoir le juste prix des choses,
La valeur d'un désir, le poids d'une pensée,
Pauvre d'amour qui jetais en apothéoses
L'obole du supplice aux couples insensés.

Des jours, las d'être toi, tu te rêvais poète ;
Des soirs, vieux de rêver, tu ricanais : mensonge !