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JEAN-MARIE GUYAU

Il mit le bracelet, et dans sa chevelure
L’aigrette de saphir pâle, aux refléta lilas.

L’œil de la jeune femme, agrandi par la joie.
Riait, saphir plus chaud dans l’ombre étincelant ;
Elle-même, entr’ouvrant son corsage de soie,
Attacha le collier « le perlée de Ceylan,

Elle se regardait dans la glace embellie,
Changeait de pose, — et puis c’étaient de petits cris…
Elle touchait du doigt l’écrin. « Quelle folie ! »
Dit-elle ; et son œil fier en demandait le prix.

Car, dans ces choses-là, c’est au prix qu’on mesure
La beauté. Lui, distrait, se taisait. Du chemin,
Par la fenêtre ouverte, arrivait le murmure
De la ville en travail et de l’essaim humain.

Des hommes, haletants, dans la nuit d’une forge
S’agitaient ; des maçons, oscillant dans les airs,
Gravissaient une échelle. — Et toujours, à sa gorge,
Les perles miroitaient comme le flot des mers.

Lui, de la main, montra, courbé sous une pierre,
Un homme qui montait en ployant les genoux :
« Vois ! il travaillera pendant sa vie entière,
Chaque jour, sans gagner le prix de tes bijoux. »

Elle rougit d’orgueil. Elle en était plus belle,
Souriant sous l’aigrette aux tremblantes lueurs ;
Et vraiment pouvait-on, pour ce sourire d’elle,
Semer à pleines mains trop d’or et de sueurs ?

Un caprice d’enfant la prit dans la soirée :
Elle ne voulait plus quitter ses bracelets
Ni son collier : dans l’ombre, encor toute parée,
Elle s’endormit, rose, à leurs mourants reflets.

— Lors elle fut bercée en un étrange rêve :
Tous ces joyaux de feu vivaient, et sur son sein
Les perles s’agitaient comme aux flots de la grève,
Et le bracelet d’or se tordait à sa main.

Puis, soudain, vers leur sombre et lointaine patrie,
Elle se vit d’un vol emportée avec eux.