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l’hospitalité.

ses bienfaits, il résolut de mettre à l’épreuve les divers habitants du village où l’on ne connaissait ni ses traits ni sa personne. Il arriva donc le soir dans sa nouvelle propriété ; et dès le lendemain matin, sous les habits d’un honnête indigent, accompagné d’un gros chien de ferme, son gardien fidèle, un bâton noueux à la main et sa belle tête chauve couverte d’une vieille casquette, il parcourt plusieurs habitations, où il se présente comme un ancien ouvrier de manufacture, sans parents, hors d’état de travailler, et n’ayant plus pour ressource que l’attachement de son chien et la commisération des personnes charitables qui daigneraient l’assister.

On se doute aisément qu’il fut plus ou moins bien accueilli de ceux qu’il éprouva. Rudoyé par les uns, humilié par les autres, quelquefois même soupçonné d’être un malfaiteur, quoique sa figure vénérable dût écarter un pareil soupçon, il fit la cruelle expérience que ce ne sont pas toujours les heureux du siècle qui savent le mieux compatir au malheur. Aussi, lorsqu’il rentrait au château, vers dix heures, il inscrivait sur un registre les noms de tous ceux qu’il avait visités, et prenait une note exacte des diverses réceptions qu’on lui avait faites.

Un jour qu’il achevait sa ronde d’indigent, selon son usage, il aperçoit à la grille d’une belle habitation deux jeunes personnes escortées d’une vieille gouvernante : elles étaient parfaitement vêtues, âgées de douze à treize ans ; elles marchandaient d’élégantes ombrelles que leur présentait un colporteur, et qu’elles payèrent chacune vingt francs renfermés dans une riche bourse contenant leurs économies. Le soi-disant pauvre vieillard les aborde avec confiance, espérant obtenir quelques secours de ces belles opulentes. Quelle est sa surprise d’entendre l’aîné des deux sœurs lui dire avec un regard de mépris et une insultante dureté :