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Page:Waller - Jeanne Bijou, 1886.djvu/30

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ALBERT

Nous verrons

CHRISTINE

Vous verrez. Il ne se défendra pas ; s’il vous tuait, on dirait que je suis complice.

ALBERT (ironique)

Vous êtes adorable !

CHRISTINE

J’ai un amant ; je l’ai pris le jour où vous avez été chez Jeanne Bijou, votre maîtresse ; je suis veuve de vous, donc, libre de me faire aimer par qui je veux.

ALBERT

Libre de me faire la risée de tous, de me mettre dans le coin comme un enfant qui n’est pas sage.

CHRISTINE

Libre de demander à un autre ce que vous n’avez pas voulu me donner ; libre de disposer de mon cœur, que vous avez rejeté après l’avoir brisé.

ALBERT

Les morceaux en sont bons, paraît-il ?

CHRISTINE

Vous ne savez pas, vous autres, comment nous arrivons dans le mariage. Pendant toute une jeunesse, nous nous sommes gardées pour un être inconnu que nos rêves faisaient beau, tendre, caressant. Nous le voulions noble, fort, assez puissant pour nous dominer en nous aimant bien, assez doux pour que sa domination fut imperceptible. Nous songions que, la main dans la main, nous traverserions la vie avec lui, comme un sentier plein de parfums où les pas sont lents, où les baisers sont adorables. Et lorsqu’il est venu à nous, l’inconnu, que nous avons entendu sa voix nous dire : « C’est moi », nous avons cru défaillir tant nous avions de bonheur !

ALBERT (ironique)

Et nous ?

CHRISTINE

Et vous, que nous choisissons pour maître et que nous nous promettons d’aimer, d’envelopper de tendresse, vous arrivez avec des mots qui mentent