Page:Walras - Introduction à l'étude de la question sociale.djvu/37

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Qu’opposent à ces raisonnements nos adversaires ?

« La question est donc celle-ci : La concurrence est-elle un moyen d’assurer du travail au pauvre ? Mais poser la question de la sorte, c’est la résoudre[1]. »

C’est la résoudre empiriquement ; car c’est la poser en la mutilant. Nous discutons des principes ; c’est-à-dire que nous devons opérer rationnellement. Or, au point de vue d’une société idéale, le mot de pauvre n’a point de sens économique : car un homme, dans une pareille société, est toujours riche au moins de ses facultés personnelles, lesquelles constituent un capital dont le travail est le revenu. Il n’y a de pauvres que les malades, les infirmes, les paresseux ; et tous ces gens sont sous la juridiction de la charité, en dehors du droit économique. La société n’a pas à leur assurer du travail plus particulièrement qu’à personne. La question véritable est donc celle-ci : — La concurrence est-elle un moyen d’empêcher le travailleur de jouir intégralement du revenu de ses facultés ?

« Qu’est-ce que la concurrence relativement aux travailleurs ? C’est le travail mis en enchères. »

Évidemment ! c’est-à-dire que c’est l’assimilation du travail, revenu d’un capital, aux autres revenus des autres capitaux. La concurrence, c’est la détermination de la valeur d’échange du travail sur le marché, où se déterminent également la valeur d’échange de la rente foncière, du loyer des capitaux ; c’est l’uniformité régulière dans la fixation du salaire, du fermage, du profit.

« Un entrepreneur a besoin d’un ouvrier : trois se présentent. — Combien pour votre travail ? — Trois francs : j’ai une femme et des enfants. — Bien. Et vous ? — Deux francs et demi : je n’ai pas d’enfants, mais j’ai une femme. — À merveille. Et vous ? — : Deux francs me suffiront : je suis seul.— A vous donc la préférence. C’en est fait : le marché est conclu. Que deviendront les deux prolétaires exclus ? Ils se laisseront mourir de faim, il faut l’espérer. Mais s’ils allaient se faire voleurs ? Ne craignez rien, nous avons des gendarmes. Et assassins ? Nous avons le bourreau. Quant au plus heureux des trois, son triomphe n’est que provisoire. Vienne un quatrième travailleur, assez robuste pour jeûner

  1. Louis Blanc, Organisation du Travail, p. 26.