Page:Walras - L’Économie politique et la justice.djvu/34

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d’autres cartes et augmenter son salaire et son bien être, rentrer chez lui, causer avec sa femme, instruire ses enfants, s’instruire lui-même, s’initier aux intérêts de la société. Et nous l’asservissons !—« Mais, crierez vous, cela n’arrive point. Le travail se divise et l’ouvrier ne s’enrichit pas ; l’ouvrier s’exténue et il s’abrutit. » Cela est vrai, et je le déplore. Mais cela n’arrive point à cause de la division du travail ; cela arrive malgré la division du travail, et pour d’autres causes. Cherchez-les.

M. Proudhon n’a fait ici qu’abuser lourdement d’une observation de J.-B. Say, qui m’a toujours paru d’une singulière impertinence. — « C’est un triste témoignage à se rendre, a dit quelque part J.-B. Say, que d’avoir passé sa vie à fabriquer la douzième partie d’une épingle. » Cette observation serait fondée si l’on passait effectivement sa vie à fabriquer la douzième partie d’une épingle. Personne n’y est contraint, grâce au ciel ! L’ouvrier peut avoir des moments de loisir ; après avoir exercé ses bras, il peut trouver des occasions d’exercer son intelligence et son cœur.

D’ailleurs, allons plus loin. L’observation de J.-B. Say, si elle était fondée, devrait aller atteindre jusque dans sa racine et suivre dans toutes ses applications la division du travail, ou ce qu’on appelle d’un autre nom la spécialité des occupations. Si c’est un triste témoignage à se rendre que d’avoir fabriqué toute sa vie des têtes d’épingles, c’en est un également que d’avoir passé sa vie à coudre des souliers, à ra-