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qu’ils couroient ces Mers. Il y a même deux exemples, l’un d’un Moskite Indien, et l’autre d’un Ecossais, nommé Alexandre Selkirk, qui furent abandonnés sur cette Ile, et qui, par cela même qu’ils y passèrent quelques années, devoient être au fait de ses productions. Selkirk, le dernier des deux, après un séjour d’entre quatre et cinq ans, en partit avec le Duc et la Duchesse, Armateurs de Bristol, comme on peut le voir plus au long dans le Journal de leur voyage. Sa manière de vivre, durant sa solitude, étoit remarquable à plusieurs égards. J’en rapporterai une particularité, que nous avons eu occasion de vérifier. Il assure, entre autres choses, que prenant à la course plus de Chèvres qu’il ne lui en falloit pour sa nourriture, il en marquoit quelques-unes à l’oreille, et les lâchoit ensuite. Son séjour dans L’Ile de Juan Fernandez avoit précédé notre arrivée d’environ trente-deux ans, et il arriva cependant que la première Chèvre, que nos gens tuèrent, avoit les oreilles déchirées, d’où nous conclumes qu’elle avoit passé par les mains de Selkirk. Cet Animal avoit un air majestueux, une barbe vénérable, et divers autres symptômes de vieillesse. Nous trouvames plusieurs des mêmes Animaux, tous marqués à l’oreille, les mâles étant reconnoissables par la longueur prodigieuse de leur barbe, et par d’autres caractères distinctifs de vieillesse.

Mais ce grand nombre de Chèvres, que plusieurs Voyageurs assurent avoir trouvé dans cette Ile, est à présent extrêmement diminué : car les Espagnols, instruits de l’usage que les Boucaniers et les Flibustiers faisoient de la chair des Chèvres, ont entrepris de détruire la race de ces Animaux dans l’Ile, afin d’ôter cette ressource à leurs ennemis. Pour cet effet ils ont lâché à terre nombre de grands Chiens, qui s’y sont multipliés, et ont enfin détruit toutes les Chèvres qui se trouvoient dans la partie accessible de l’Ile ; si bien qu’il n’en reste à présent qu’un petit nombre parmi les rochers et les précipices, où il n’est pas possible aux Chiens de les suivre. Ces Animaux sont partagés en différens Troupeaux de vingt ou trente chacun, qui habitent des demeures distinctes et ne se mêlent jamais ensemble. C’est ce qui augmentoit la difficulté que nous trouvions à en tuer, et cependant leur chair, qui avoit un goût de venaison, nous paroissoit un mets si friand qu’à force d’épier les lieux, où ils faisoient leur séjour, nous connumes tous leurs Troupeaux ; et j’ai lieu de croire que les Boucs et les Chèvres qu’il y a dans toute l’Ile, n’excèdent pas le nombre de deux cens. Je me souviens qu’un jour nous eumes occasion de voir les préparatifs d’un combat entre un Troupeau de ces Animaux, et un cer-