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avoit à bord quatre hommes et trois femmes, tous nés dans le Païs de parens Espagnols, et trois Esclaves noires, qui servoient les femmes. Ces dernières étoient une mère et ses deux filles, dont l’ainée pouvoit avoir vingt et un ans et la cadette, quatorze. On auroit tort de s’étonner que de si jeunes personnes fussent excessivement allarmées en se voyant entre les mains d’un Ennemi, que la conduite passée des Flibustiers et les insinuations artificieuses de leurs Prêtres leur faisoient envisager avec horreur. Leurs craintes ne pouvoient qu’augmenter par la beauté régulière de la plus jeune des deux filles, et par la disposition où devoient être naturellement des gens de Mer, qui depuis près de douze mois n’avoient point vu de femmes. Aussi s’étoient-elles cachées toutes quand notre Officier vint à bord ; et quand on les trouva, ce ne fut qu’avec bien de la peine qu’il put les engager à paroître au jour ; cependant il vint bientôt à bout de les rassurer par ses manières, et par les déclarations réïtérées qu’il leur fit, qu’elles n’avoient absolument rien à craindre. Le Commandeur, instruit de la chose, ordonna qu’elles resteroient à bord de leur propre Vaisseau, et dans l’apartement qu’elles avoient occupé jusqu’alors, où elles seraient servies comme auparavant, avec défense de ne leur pas faire la moindre peine. Et pour qu’elles fussent plus sûres que ces ordres seroient exécutés, ou, en cas qu’ils ne le fussent pas qu’elles pourroient s’en plaindre, Mr. Anson permit que le Pilote de leur Vaisseau, qui dans les Navires Espagnols est généralement considéré comme la seconde personne, restât à bord avec elles, pour leur tenir lieu de Garde et de Protecteur. Mr. Anson lui donna cette commission, à cause qu’il paroissoit prendre un intérêt particulier à ces femmes, et qu’il s’étoit dit le mari de la plus jeune d’elles, quoiqu’il parut dans la suite, tant par le rapport du reste des Prisonniers, que par d’autres circonstances, qu’il n’avoit parlé ainsi que pour la mieux garantir des outrages qu’elle sembloit avoir lieu d’appréhender. Un procédé aussi humain et aussi généreux de la part de notre Commandeur, dissipa entièrement les frayeurs de nos Prisonnières, qui parurent très contentes durant tout le tems qu’elles restèrent avec nous, comme j’aurai occasion de le marquer plus en détail dans la suite.

J’ai dit ci-dessus, qu’au commencement de la poursuite, le Centurion avoit tellement devancé les deux prises, qu’elles l’avoient perdu de vue. Pour leur donner le tems de nous joindre, nous mimes en panne toute la nuit, tirant des coups de Canon, et faisant des feux chaque demi-heu-