Page:Wanda - La femme au doigt coupé, 1886.djvu/8

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rideau, regarde le petit coucou placé sur la table, et dont le tic tac monotone et régulier trouble seul le silence de la chambrette, puis elle se rassoit lentement et se remet à l’ouvrage. Mais, elle, si active d’ordinaire ne peut rien faire aujourd’hui ; ses doigts qui maniaient si agilement l’aiguille refusent d’obéir ; sa main laisse tomber la robe commencée et son front s’appuie, en rêvant sur cette main inoccupée.

À quoi rêve-t-elle ? à quoi rêvent les jeunes filles ?

Mais je n’aurai pas à commettre d’indiscrétion. Jenny va vous apprendre elle-même la cause de sa visible préoccupation. Un léger bruit sous la fenêtre attire son attention ; elle se lève, entr’ouvre discrètement le rideau, puis le laisse retomber avec découragement.

— C’est singulier dit-elle, voilà deux jours entiers que je ne l’ai vu. Il devrait être ici, lui qui passait tous les matins de bonne heure, avant de se rendre à son travail. S’il lui était arrivé quelque chose ? à cette seule idée son corps tout entier tressaille d’effroi. — Il est si aventureux, mon cher Ben, et si courageux, aussi, je me souviens d’avoir eu déjà une frayeur semblable un dimanche, où je l’attendais. Nous devions sortir ensemble. La journée se passa ; pas de Ben : et enfin, à la tombée de la nuit, il se précipita dans ma chambre, tout souillé de boue, ruisselant d’eau ; il avait sauvé un enfant en train de se noyer, et cela au péril de ses jours, et l’avait remis lui-même aux mains de sa mère éperdue.

Depuis ce moment, j’ai senti que je l’aimais, et si je venais à le perdre, il me semble qu’il ne me resterait plus qu’à mourir. Il est le seul être qui me rattache à la vie ; car ma mère, je l’ai à peine connue, ma mère. Il me semble cependant voir quelquefois encore dans mes rêves, l’ombre d’une jeune et belle femme, penché sur mon berceau. Je cherche à me rappeler, mais j’étais trop jeune. Qui sait-si, à l’aide de ces papiers que m’a remis en mourant ma vieille Agathe, je ne la retrouverai pas un jour ? Mais non elle doit être morte : et c’est de sa fortune seule qu’il s’agit. Ah ! que je la donnerais de bon cœur, pour un baiser de ma mère !