Page:Wanda - La femme au doigt coupé, 1886.djvu/80

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pour vous mettre dehors. Il faut que tout marche rondement, militairement, avec moi, vous m’entendez ? Je ne veux pas non plus qu’on raisonne. »

Alors, sentant la colère me venir, je lui tournai le dos et je rentrai brusquement dans la salle.

Je n’ai jamais détesté d’homme comme celui-là ; la méchanceté, l’insolence du commandement, enfin toutes les mauvaises qualités étaient peintes sur sa figure. Rien que de penser à lui, l’indignation me gagne encore, je lui souhaite toutes les plaies d’Égypte.

Le même jour, après l’école du soir, entendant les gens du village parler dehors, j’allai voir ce qui se passait.

On tirait le trompette du bûcher, il avait les oreilles et le nez bleus ; les soldats, lui déliant les cordes et les jambes, finirent par lui prier de se lever, mais il ne donnait pour ainsi dire plus signe de vie.

On avait beau le dresser, le secouer, il retombait toujours de son long.

Un soldat courut chercher leur médecin, qui soupait chez M. le curé Petitjean, et seulement un quart d’heure après il arriva, regardant de loin avec ses lunettes et riant comme un individu qui vient de bien dîner.

C’était un petit homme fleuri, bien rasé, une croix rouge sur le bras.

« Voyons, écartez-vous ! » dit-il aux voisins et aux voisines qui formaient le cercle autour du trompette.

Puis il s’écria :

« Tiens ! tiens ! c’est ce pauvre Frantz ! il a les oreilles et le nez gelés et sans doute les pieds aussi. Qu’est-ce qui lui est donc arrivé ?

— Il a sonné la retraite de travers, dit alors une espèce de maréchal des logis, qui riait en voyant le médecin rire ; il avait bu trop de schnaps, et le colonel l’a fait attacher et jeter là depuis hier soir.

— Ah ! très-bien, fit le médecin, très-bien. »

Et tout en se baissant, il ajouta :