Page:Wanda - La femme au doigt coupé, 1886.djvu/83

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Nous cessâmes alors de le baigner d’eau de neige, nous lui remîmes sa chemise et ses habits comme nous, pouvions ; Gueûry referma la fenêtre encore ouverte ; nous montâmes chercher une paillasse et une couverture de laine dont nous l’enveloppâmes ; et seulement alors, vers les sept heures, chacun alla manger sa soupe aux pommes de terre et prendre un peu de repos.

Je maudissais ces Allemands de m’obliger à sauver un gueux pareil, quand son propre colonel l’avait presque assommé par amour de la discipline. Oui ! je m’indignais d’être forcé d’agir en chrétien, pendant que des milliers d’entre les nôtres n’avaient pas la chance de rencontrer d’honnêtes gens et périssaient de misère.

Enfin on n’est pas maître des choses ; les accidents vous tombent sur la tête comme des cheminées ; il faut bien les supporter, et si on ne remplissait pas ses devoirs d’humanité, on serait encore capable d’en éprouver des remords dans ses vieux jours.

C’est ce qui me fit garder cet Allemand ; si j’avais dit comme eux que la force prime le droit, j’aurai fort bien pu le coucher dans la rue et le laisser mourir de sa belle mort ; personne ne m’en aurait fait des reproches, au contraire.

Ces hussards bleu de ciel et leur colonel n’ont jamais reparu dans le pays, et, que Dieu me le pardonne ! j’ai souhaité cent fois d’apprendre qu’ils avaient été massacrés avec leur chef, le noble baron de Krappenfels.

Notre trompette ne désirait pas non plus les revoir : il tremblait chaque fois dans son lit en haut, où nous l’avions transporté, lorsqu’on ouvrait la porte de l’allée, croyant que c’était quelqu’un du régiment qui venait le réclamer ou demander de ses nouvelles.

Du reste, il s’était remis assez vite et mangeait de notre soupe avec un grand appétit ; son nez avait repris une couleur naturelle, mais son oreille gauche restait toujours bleu--