Page:Wanda - La femme au doigt coupé, 1886.djvu/92

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Il sortit là-dessus, criant à son camarade :

« En route ! Nous nous arrêterons ici en revenant. »

Ils partirent au galop ; et dans le même instant, le cafard qui s’était mis à ma place grimpait l’escalier quatre à quatre et s’enfermait à double tour dans sa chambre.

Alors, revenant à moi, je voulus monter, lui livrer bataille, et l’exterminer, mais ma femme, plus raisonnable, m’en empêcha.

Elle s’était mise devant moi

« Sauve-toi, Auburtin, me disait-elle, laisse le gueux tranquille ; il serait encore capable de te donner un mauvais coup ; et puis les gendarmes vont revenir ; s’ils te trouvent à la maison, ils t’arrêteront ; tous ces gens tiennent ensemble, on ne t’écoutera pas, on t’emmènera en Prusse… Qu’est-ce que je deviendrais avec les enfants ? »

L’indignation me possédait, je tremblais de colère ; mais l’idée des enfants, de ces pauvres petits êtres, tout seuls avec leur mère, sans ressource, peut-être sans pain, me cassa les bras.

Je compris que ma femme avait raison, qu’il valait mieux partir. Je la prévins que j’allais chez notre cousin Claude Briot, à Badonviller, lui disant de venir me rejoindre le plus tôt possible, et je partis, après avoir embrassé les enfants, n’emportant qu’un morceau de pain et quelques sous.

Je gagnai la forêt derrière le village, puis les collines du Blanc-Ru, et le soir j’étais au coin du feu de notre cousin, lui racontant cette histoire, qui ne l’étonna pas, car il connaissait la franchise et l’honnêteté prussiennes.

Trois mois après, je fus replacé en France, et ma femme, ayant vendu le peu de bien que nous possédions aux Trois-Fontaines, vint me rejoindre avec les enfants.

Quel malheur d’être forcé de quitter son foyer, son village, son pays, et de se sauver à travers les bois comme un malfaiteur ! Ah ! ceux qui commettent de telles iniquités sont bien à plaindre : ils se préparent un avenir terrible.

FIN