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Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/130

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à sa petite lumière ronde couleur de narcisse. Puis, se rasseyant, il appuyait sur la table les manches rapiécées de sa veste tachée et méditait sur sa lettre. Elle venait de Gruffydd Conwy, du cottage de la forge de Trewern Cœd, au delà de la frontière, et elle l’invitait à venir, son premier samedi de liberté, parler à Gruffydd au sujet des pennillions.

Robert, toujours pratique quand c’était nécessaire, compta les brebis qui n’avaient pas encore agnelé et conclut qu’on pourrait se passer de lui le samedi suivant. Il était transporté à l’idée de posséder bientôt la science qui lui permettrait d’enfermer rapidement ses pensées dans une forme durable. Il sifflait, fredonnait et quelquefois chantait à plein gosier, et sa voix roulait tendrement sous la lueur de l’aube grise vers l’horizon de l’Est, au delà duquel Gillian dormait, toute rose dans sa chemise blanche. Son cœur de poète la conjurait, ses yeux la contemplaient, ses bras se tendaient douloureux vers elle. Si le désir avait pu pénétrer ce jeune cœur si dur, il l’aurait attirée de son lit, de la maison, de la ville par-dessus la campagne obscure, comme un héron blanc, jusque dans ses bras. Mais elle ressemblait à la jeune fille dans un cercueil de verre et la moindre vibration de sa passion profonde et cachée ne pouvait toucher son âme.

Il était heureux de ces nuits de veille, qui usaient un peu sa vigueur, et, en diminuant sa vitalité, en rendant sa passion moins physique, moins palpitante, lui faisaient l’existence plus facile et lui ramenaient la paix, comme le crépuscule répand sur la plaine encore violemment éclairée les plis calmes de la brume. Il éteignit sous ses brodequins cloutés les charbons du brasier et, un agneau sous chaque bras, prit pour rentrer chez sa mère le sentier qui sentait la terre, la gelée blanche et le foin d’hiver.