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Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/136

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dans les bottes qu’on vend au marché. C’est un bouquet comme celui-là qu’il aurait fait à Gillian s’il avait pu l’épouser, un bouquet si compact de tendresse qu’on n’aurait pu distinguer une fleur de l’autre. (Robert ignorait les raffinements de l’art, et les eût-il connus qu’il les aurait probablement rejetés.) Il l’aurait solidement attaché avec un lien très fort et il aurait été si gros qu’il aurait fallu les deux petites mains de sa fiancée pour le tenir. Et elle se serait avancée dans l’église, adorable comme une fée, jusqu’à ce qu’elle l’eût rejoint, lui, qui l’aurait attendue sans faire attention à personne. Alors il se serait tourné vivement et lui aurait jeté un regard, le regard qu’il avait pour conquérir et pour refuser, chaque fois qu’elle était près de lui, et il y avait gros à parier qu’elle aurait tout à coup laissé tomber le bouquet aux pieds du pasteur.

Robert se mit à rire tout haut et aussitôt, entouré qu’il était par tant de milles carrés d’une solitude bienveillante, il chanta :

Gillian, Gillian, Gillian Rideout !

Et les pluviers, le regardant dans la lumière, lui répondirent, portés sur leurs ailes d’argent, avec des cris argentins, et, s’abattant çà et là sur des taches vertes qui étincelaient au milieu des bruyères, redressaient leur huppe, car ils entendaient au loin le pas du printemps, ce magicien qui lançait des feux verts dans les endroits les plus sombres, les enivrait de vigueur et les incitait à l’amour, leur donnant pour un temps la liberté qu’on goûte dans la vie.

Alors Robert, oubliant qu’il n’était que berger-vacher, que Gillian était loin, et qu’il y avait à Silverton