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SEPT POUR UN SECRET…

sottise ! Et Jonathan ! Et elle devrait toujours habiter là, mener la vie d’une humble femme de paysan. Non. Les joies dont elle rêvait lui avaient été refusées et elle était, à sa modeste façon, tout aussi ambitieuse qu’une Cléopâtre — et tout aussi effrénée.

« Si je peux épouser Ralph Elmer, réfléchissait-elle en ces journées d’avril, j’aurai en tout cas conscience de vivre. »

C’était bien cela. Elle avait besoin de savoir qu’elle vivait, il fallait échapper à tout prix au sort d’Émilie. Et, avec l’illogisme assez pitoyable de la femme de tous les temps et de tous les pays, elle aurait consenti — si elle y avait songé — à risquer la mort pour savoir qu’elle était bien vivante.

C’est ainsi qu’elle demeurait éprise de la passion, et c’était Elmer qui la représentait. D’étranges fiertés, des désespoirs et des étonnements bizarres l’éblouissaient pendant ces journées grisantes et fraîches d’Avril. Car, à Dysgwlfas, Avril est froid comme un flocon de neige. Aucune fleur ne paraît sur les arbres, aucune pâle lueur de primevère n’éclaire avant Mai les bois peu fournis. Alors, un matin, regardez, voici qu’un nuage blanc s’est abattu sur le prunier de Damas, et bientôt, dans le petit verger où les arbres sont tous penchés vers l’Est, comme si un grand vent d’Ouest soufflait sans cesse, bientôt apparaissent sur le pommier des boutons roses, bien serrés, comme des mains de bébé repliées sur un trésor. Plus tard arrivent les hirondelles, les fauvettes à tête noire et les pouillots, plus tard retentissent les deux notes harmonieuses du coucou. Dans les prés lointains, les narcisses ne tremblent dans l’air froid que longtemps après Pâques, et souvent sur les groseilliers rouges en fleur, sur les guirlandes orangées de l’épine-vinette, près du pigeon-