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sept pour un secret…

les après-midi d’hiver, on avait vu des commissaires-priseurs attendre, pour commencer une vente, qu’ils eussent aperçu sa haute stature dans la foule.

Quelles que puissent être les idées qu’on se fait de la civilisation dans les contrées encore sauvages, la supériorité physique y domine toujours, comme au temps de Saül — peut-être parce que, le combat à l’aide des forces naturelles étant plus menaçant à la campagne, il est probable que c’est le plus grand qui tiendra le plus longtemps, et les paysans admirent beaucoup une puissance durable. Il peut se faire aussi que ce soit le culte instinctif du héros, le désir de dresser quelque chose d’imposant comme étendard, quelque chose d’assez grand pour que les légendes se cristallisent autour.

Jusqu’à quel point Isaïe Lovekin devinait-il qu’il commençait à devenir un dieu, rien ne le montrait. Il n’y faisait jamais allusion, car il parlait peu. Peut-être autrement le charme aurait-il été rompu. Il se contentait d’en tirer profit, de l’accepter, de s’en engraisser. On pouvait parfois surprendre un éclair de malice dans son regard sombre, mais il était difficile de dire ce que cela signifiait. D’ordinaire rien, pas même un clin d’œil, ne venait interrompre sa réserve de géant, et, comme un imposant promontoire, il acceptait tout ce que les flots de la vie apportaient à ses pieds. Personne ne mettait jamais sa situation en question, ni ne doutait qu’il fût capable de la maintenir. Dans les yeux de sa fille seule passait parfois une lueur fugace, mi-moqueuse et mi-maternelle. Elle y avait été, cette lueur, même quand elle levait son regard sur lui de son berceau, alors qu’elle n’était qu’un paquet aux yeux gris, étendu si bas aux pieds d’un être immense qui l’écrasait. Tout le monde avait vu cette expression où