dans la tête que ma fille n’épousera qu’un fermier ou quelqu’un de mieux.
Robert sourit, d’un sourire lent, triste, un peu ironique mais doux. Ses yeux ne souriaient pas toujours à l’unisson avec sa bouche. En ce moment ils restaient graves, on y lisait un blâme et une nuance de moquerie.
— Pas moins qu’un Lord, monsieur, dit-il. Mais ce qui doit arriver arrivera.
— Qui que ce doive être, ce ne sera pas un vacher-berger, compris ?
— Oh, je saisis, monsieur, et si j’avais levé les yeux sur votre jeune fille, je les baisserais, mais je ne veux pas de femme.
— Et que voulez-vous donc, mon garçon ? demanda Isaïe avec un léger regret.
— Être libre de mon temps, monsieur, répliqua Robert, et il se dirigea vers l’écurie.
Être libre de son temps, et il ne veut pas de femme ! Gillian riait, car en lavant la vaisselle elle avait écouté à la fenêtre de la cuisine.
Jusque là Robert ne lui avait pas paru digne d’être séduit : il ne comptait pas. Maintenant, en le regardant traverser le parc de son allure décidée, indépendante, elle se rendit compte que c’était un jeune homme dont elle pourrait faire son esclave.
— Au revoir, ma sœur, dit Isaïe. Il y a une caisse de poires d’hiver et de ces pommes rouges que vous aimez bien. Gillian pourra vous ramasser des œufs, et Robert attrapera une paire de poulets. Recommandez à Émilie de songer à ce que j’ai dit.
Et avec un éclat de rire, il sauta en selle.