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Page:Webster - La Duchesse de Malfi, 1893, trad. Eekhoud.djvu/67

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Entre JULIA.


Julia. — Monseigneur, vous voyez devant vous une humble solliciteuse qui serait, sans doute, fort mal accueillie si elle n’était munie d’une lettre d’introduction d’un haut personnage. Le cardinal, en personne, me recommande à votre faveur. (Elle remet une lettre à Pescara)

Pescara. — Il réclame pour vous la citadelle de Saint-Benoît appartenant à Bologna, le proscrit.

Julia. — En effet.

Pescara. — Je cherche en vain parmi mes amis quelqu’un à qui j’eusse pu en faire don. Elle est à vous.

Julia. — Seigneur, je vous remercie. Le cardinal saura combien je suis touchée non seulement par votre don, mais aussi par la promptitude que vous mettez à me l’accorder. (Exit.)

Antonio. — Comme ils s’engraissent de mes dépouilles !

Délio. — Seigneur, je ne vous suis guère obligé…

Pescara. — De quoi ?

Délio. — De ce que vous accordiez à pareille créature ce que vous veniez de me refuser.

Pescara. — Savez-vous bien ce que vous me demandiez ? C’était le bien d’Antonio ; un bien qui ne lui a pas été enlevé par l’autorité légale, mais qu’on lui arrache arbitrairement à la requête du cardinal. Il ne me convenait pas d’associer mon ami à une pareille iniquité. C’est une gratification due seulement à une prostituée ; car c’est une flagrante injustice. Me va-t-il falloir bientôt répandre le sang innocent pour que mes partisans, mes amis, s’en désaltèrent et paraissent plus sanguins ? Je suis bien heureux que ces possessions arrachées par une si noire ingratitude à leur propriétaire légitime ne représentent plus que le salaire de la luxure. Mon bon Délio, ne me demande que de nobles choses, et tu trouveras en moi un noble donateur !…

Délio. — Vous m’édifiez complètement, Seigneur.

Antonio. — Voici un homme qui materait le cynisme des mendiants les moins vergogneux !

Pescara. — Le prince Ferdinand arrive à Milan, malade, dit-on, des suites d’une apoplexie ; mais d’autres prétendent qu’il est tombé en démence. Je me porte à sa rencontre. (Exit.)

Antonio. — Le noble vieillard !

Délio. — Que comptez-vous faire, Antonio ?

Antonio. — Exposer cette nuit à la pire méchanceté du cardinal ma pauvre vie languissante et ma fortune précaire. Je me suis assuré les