Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/132

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C’est ainsi qu’une certaine masse d’eau, quoique composée de particules qui se meuvent et se heurtent sans cesse, est dans un équilibre et un repos parfaits. Elle renvoie aux objets leurs images avec une vérité irréprochable. Elle indique parfaitement le plan horizontal. Elle dit sans erreur la densité des objets qu’on y plonge.

Si des individus passionnés, enclins par la passion au crime et au mensonge, se composent de la même manière en un peuple véridique et juste, alors il est bon que le peuple soit souverain. Une constitution démocratique est bonne si d’abord elle accomplit dans le peuple cet état d’équilibre, et si ensuite seulement elle fait en sorte que les vouloirs du peuple soient exécutés.

Le véritable esprit de 1789 consiste à penser, non pas qu’une chose est juste parce que le peuple la veut, mais qu’à certaines conditions le vouloir du peuple a plus de chances qu’aucun autre vouloir d’être conforme à la justice.

Il y a plusieurs conditions indispensables pour pouvoir appliquer la notion de volonté générale. Deux doivent particulièrement retenir l’attention.

L’une est qu’au moment où le peuple prend conscience d’un de ses vouloirs et l’exprime, il n’y ait aucune espèce de passion collective.

Il est tout à fait évident que le raisonnement de Rousseau tombe dès qu’il y a passion collective. Rousseau le savait bien. La passion collective est une impulsion de crime et de mensonge infiniment plus puissante qu’aucune passion individuelle. Les impulsions mauvaises, en ce cas, loin de se neutraliser, se portent mutuellement à la millième puissance. La pression est presque irrésistible, sinon pour les saints authentiques.

Une eau mise en mouvement par un courant violent, impétueux, ne reflète plus les objets, n’a plus une surface horizontale, n’indique plus les densités.