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Esquisse du fondement d’une doctrine (surtout à l’usage des groupes d’études en France) :

Une doctrine ne suffit à rien, mais il est indispensable d’en avoir une, ne serait-ce que pour éviter d’être trompé par les doctrines fausses. Le spectacle de l’étoile polaire ne dit jamais au pêcheur où il doit aller, mais il ne se dirigera pas dans la nuit s’il ne sait pas la reconnaître.

De plus, concevoir, comprendre et adopter la meilleure doctrine est facile. Les vérités fondamentales sont simples. La difficulté est dans l’application. Plus exactement, la difficulté est de s’en être tellement nourri, de les avoir si complètement absorbées que l’application devienne instinctive.

Mais la première difficulté est dans les mots. La vérité est au fond du cœur de tout homme, mais si profondément cachée qu’elle est difficile à traduire dans le langage. Les hommes ont tellement besoin des mots qu’une pensée qui n’est pas exprimée en paroles peut de ce fait être impuissante à s’accomplir dans les actions. Quand l’homme veut une chose qu’il ne sait pas nommer, on peut très bien lui faire croire qu’il veut autre chose, et détourner le trésor de son énergie vers quelque chose d’indifférent ou de mauvais.