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emprisonnée. La vérité et la justice à la langue coupée ne peuvent espérer aucun autre secours que le sien. Elle n’a pas non plus de langage ; elle ne parle pas ; elle ne dit rien. Mais elle a une voix pour appeler. Elle appelle et montre la justice et la vérité qui sont sans voix. Comme un chien aboie pour faire venir des gens auprès de son maître qui gît inanimé dans la neige.

Justice, vérité, beauté sont sœurs et alliées. Avec trois mots si beaux il n’est pas besoin d’en chercher d’autres.


La justice consiste à veiller à ce qu’il ne soit pas fait de mal aux hommes. Il est fait du mal à un être humain quand il crie intérieurement : « Pourquoi est-ce qu’on me fait du mal ? » Il se trompe souvent dès qu’il essaie de se rendre compte quel mal il subit, qui le lui inflige, pourquoi on le lui inflige. Mais le cri est infaillible.

L’autre cri si souvent entendu : « Pourquoi l’autre a-t-il plus que moi ? » est relatif au droit. Il faut apprendre à distinguer les deux cris et faire taire le second le plus qu’on peut, avec le moins de brutalité possible, en s’aidant d’un code, des tribunaux ordinaires et de la police. Pour former les esprits capables de résoudre les problèmes situés dans ce domaine, l’École de Droit suffit.

Mais le cri : « Pourquoi me fait-on du mal ? » pose des problèmes tout autres, auxquels est indispensable l’esprit de vérité, de justice et d’amour.

Dans toute âme humaine monte continuellement la demande qu’il ne lui soit pas fait de mal. Le texte du Pater adresse cette demande à Dieu. Mais Dieu n’a le pouvoir de préserver du mal que la partie éternelle d’une âme entrée avec lui en contact réel et direct. Le reste de l’âme, et l’âme tout entière en quiconque n’a pas reçu la grâce du contact réel et direct