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Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/137

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point qu’ils ne sont pas discernables et sont réellement un seul, ce lien qui s’étend par-dessus la distance et triomphe d’une séparation infinie. L’unité de Dieu où disparaît toute pluralité, l’abandon où croit se trouver le Christ sans cesser d’aimer parfaitement son Père, ce sont deux formes de la vertu divine du même Amour, qui est Dieu même.

Dieu est si essentiellement amour que l’unité, qui en un sens est sa définition même, est un simple effet de l’amour. Et à l’infinie vertu unificatrice de cet amour correspond l’infinie séparation dont elle triomphe, qui est toute la création, étalée à travers la totalité de l’espace et du temps, faite de matière mécaniquement brutale, interposée entre le Christ et son Père.

Nous autres hommes, notre misère nous donne le privilège infiniment précieux d’avoir part à cette distance placée entre le Fils et le Père. Mais cette distance n’est séparation que pour ceux qui aiment. Pour ceux qui aiment, la séparation, quoique douloureuse, est un bien, parce qu’elle est amour. La détresse même du Christ abandonné est un bien. Il ne peut pas y avoir pour nous ici-bas de plus grand bien que d’y avoir part. Dieu ici-bas ne peut pas nous être parfaitement présent, à cause de la chair. Mais il peut nous être dans l’extrême malheur presque parfaitement absent. C’est pour nous, sur terre, l’unique possibilité de perfection. C’est pourquoi la Croix est notre unique espoir. « Nulle forêt ne porte un tel arbre, avec cette fleur, ce feuillage et ce germe. »

Cet univers où nous vivons, dont nous sommes une parcelle, est cette distance mise par l’Amour divin entre Dieu et Dieu. Nous sommes un point dans cette distance. L’espace, le temps, et le mécanisme qui gouverne la matière sont cette distance. Tout ce que nous nommons le mal n’est que ce mécanisme. Dieu a fait en sorte que sa grâce, quand elle pénètre au centre même d’un homme et de là illumine tout son être, lui permet, sans violer les