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Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/180

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tempérament, aux traces de la vie passée, à des causes le plus souvent impossibles à connaître.

Il n’y a qu’un cas, d’ailleurs fréquent, où l’attrait du plaisir sensible n’est pas celui du contact avec la beauté ; c’est quand il procure au contraire un refuge contre elle.

L’âme ne cherche que le contact avec la beauté du monde, ou, à un niveau plus élevé encore, avec Dieu ; mais en même temps elle le fuit. Quand l’âme fuit quelque chose, elle fuit toujours, soit l’horreur de la laideur, soit le contact avec ce qui est vraiment pur. Car tout ce qui est médiocre fuit la lumière ; et dans toutes les âmes, excepté celles qui sont proches de la perfection, il y a une grande partie médiocre. Cette partie est prise de panique toutes les fois qu’apparaît un peu de beau pur, de bien pur ; elle se cache derrière la chair, elle la prend comme voile. Comme un peuple belliqueux a réellement besoin, pour réussir dans ses entreprises conquérantes, de recouvrir son agression d’un prétexte quelconque, la qualité du prétexte étant d’ailleurs tout à fait indifférente, de même la partie médiocre de l’âme a besoin d’un léger prétexte pour fuir la lumière. L’attrait du plaisir, la crainte de la douleur fournissent ce prétexte. Là encore, ce n’est pas le plaisir, c’est l’absolu qui maîtrise l’âme, mais comme objet de répulsion et non plus comme objet d’attirance. Très souvent aussi dans la recherche du plaisir charnel les deux mouvements se combinent, le mouvement de courir vers la beauté pure et le mouvement de fuir loin d’elle, dans un enchevêtrement indiscernable.

De toutes manières dans les occupations humaines quelles qu’elles soient, le souci de la beauté du monde, aperçue dans des images plus ou moins difformes ou souillées, n’est jamais absent. Par suite il n’y a pas dans la vie humaine de région qui soit le domaine de la nature. Le surnaturel est présent partout en secret ; sous mille formes diverses, la grâce et le péché mortel sont partout.