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Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/194

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opération de transfert dans les choses qui nous entourent. Mais les choses devenant ainsi laides et souillées à nos yeux nous renvoient le mal que nous avons mis en elles. Elles nous le renvoient augmenté. Dans cet échange le mal qui est en nous s’accroît. Il nous semble alors que les lieux mêmes où nous sommes, le milieu même où nous vivons nous emprisonnent dans le mal, et de jour en jour davantage. C’est là une terrible angoisse. Quand l’âme épuisée par cette angoisse ne la ressent même plus, il y a peu d’espoir de salut pour elle.

C’est ainsi qu’un malade prend sa chambre et son entourage en haine et en dégoût, un condamné sa prison, et trop souvent un ouvrier son usine.

Ceux qui sont ainsi, il ne sert à rien de leur procurer de belles choses. Car il n’est rien qui ne finisse pur être souillé jusqu’à faire horreur, avec le temps, par cette opération de transfert.

Seule la pureté parfaite ne peut pas être souillée. Si au moment où l’âme est envahie par le mal l’attention se porte sur une chose parfaitement pure en y transférant une partie du mal, cette chose n’en est pas altérée. Elle ne renvoie pas le mal. Ainsi chaque minute d’une pareille attention détruit réellement un peu de mal.

Ce que les Hébreux essayaient d’accomplir, au moyen d’une espèce de magie, dans leur rite du bouc émissaire, ne peut être opéré ici-bas que par la pureté parfaite. Le véritable bouc émissaire, c’est l’Agneau.

Le jour où un être parfaitement pur se trouve ici-bas sous forme humaine, automatiquement la plus grande quantité possible de mal diffus autour de lui se concentra sur lui sous forme de souffrance. À cette époque, dans l’Empire romain, le plus grand malheur et le plus grand crime des hommes était l’esclavage. C’est pourquoi il subit le supplice qui était le degré extrême du malheur de l’esclavage. Ce transfert constitue mystérieusement la Rédemption.