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Page:Weil - Attente de Dieu, 1950.djvu/196

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crement inconnue ? Il est vrai qu’on ne pense guère aux esclaves crucifiés il y a vingt-deux siècles.

Quand on a appris à porter le regard sur la pureté parfaite, la durée limitée de la vie humaine empêche seule d’être sûr qu’à moins de trahison on atteindra dès ici-bas la perfection. Car nous sommes des êtres finis ; le mal en nous aussi est fini. La pureté qui est offerte à nos yeux est infinie. Si peu que nous détruisions de mal à chaque regard, il serait sûr, s’il n’y avait pas de limite de temps, qu’en répétant assez souvent l’opération un jour tout le mal serait détruit. Nous serions alors allés au bout du mal, selon l’expression splendide de la Bhagavat-Gîta. Nous aurions détruit le mal pour le Seigneur de la Vérité, et nous lui apporterions la vérité, comme dit le Livre des morts égyptien.

Une des vérités capitales du christianisme, aujourd’hui bien méconnue de tous, est que le regard est ce qui sauve. Le serpent d’airain a été élevé afin que les hommes, gisant mutilés au fond de la dégradation, le regardent et soient sauvés.

C’est dans les moments où on est, comme on dit, mal disposé, où on se sent incapable de l’élévation d’âme convenable aux choses sacrées, c’est alors que le regard porté sur la pureté parfaite est le plus efficace. Car c’est alors que le mal, ou plutôt la médiocrité, affleure à la surface de l’âme, dans la meilleure position pour être brûlée au contact du feu.

Mais aussi l’opération de regarder est alors presque impossible. Toute la partie médiocre de l’âme, craignant la mort d’une crainte plus violente que celle causée par l’approche de la mort charnelle, se révolte et suscite des mensonges pour se protéger.

L’effort de ne pas écouter ces mensonges, quoiqu’on ne puisse pas s’empêcher d’y croire, l’effort de regarder la pureté est alors quelque chose de très violent ; c’est pourtant absolument autre chose que tout ce qu’on