Aller au contenu

Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il est donc vivant, l’homme ?
— Oui, si mon souffle est en moi.
— Donc toi, tu serais lui ?
— Ceci, examine-le,
L’anneau de mon père et vois si ma parole est certaine.
— Ô très aimée lumière.
— Très aimée, j’en suis témoin.
— Ô voix, tu es là ?
— Plus jamais ailleurs n’interroges.
— Je t’ai dans mes bras ?
— Ainsi désormais, tiens-moi toujours.
— Ô bien chères femmes, ô concitoyennes,
voyez ici Oreste, qui avait trouvé moyen
d’être mort, qui maintenant a trouvé moyen d’être sauvé.


Si on lit ces vers sans songer à l’histoire d’Électre et d’Oreste, la résonance mystique est évidente (plus jamais ailleurs ne questionne — ainsi tiens-moi toujours). Si ensuite on songe à l’histoire telle qu’elle est dans Sophocle, l’évidence devient plus grande.

Il s’agit d’une reconnaissance, thème fréquent dans le folklore. On croit avoir devant soi un étranger, et c’est l’être le plus aimé. C’est ce qui s’est produit pour Marie-Madeleine et un certain jardinier.

Électre est fille d’un roi puissant, mais réduite au plus misérable état d’esclavage sous les ordres de ceux qui ont trahi son père. Elle a faim. Elle est en haillons. Le malheur non seulement l’écrase, mais la dégrade et l’aigrit. Mais elle ne pactise pas. Elle hait ces ennemis de son père qui ont tout pouvoir sur elle. Son frère, qui est au loin, pourrait seul la délivrer. Elle se consume dans l’attente. Enfin, il vient, mais elle n’en sait rien. Elle croit voir un étranger qui annonce sa mort et porte ses cendres. Elle