Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/141

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sement, cela n’aurait un sens que si France et vérité étaient des mots équivalents. Il est arrivé, il arrive, il arrivera que la France mente et soit injuste ; car la France n’est pas Dieu, il s’en faut de beaucoup. Le Christ seul a pu dire : « Je suis la vérité. » Cela n’est permis à rien d’autre sur terre, ni hommes, ni collectivités, mais bien moins encore aux collectivités. Car il est possible qu’un homme parvienne à un degré de sainteté tel que ce ne soit plus lui, mais le Christ qui vive en lui. Au lieu qu’il n’y a pas de nation sainte.

Il y a eu une nation jadis qui s’est crue sainte, et cela lui a très mal réussi ; et à ce sujet il est bien étrange de penser que les Pharisiens étaient les résistants, dans cette nation, et les publicains les collaborateurs, et de se rappeler quels étaient les rapports du Christ avec les uns et les autres.

Cela semble obliger à penser que notre résistance serait une position spirituellement dangereuse, même spirituellement mauvaise, si parmi les mobiles qui l’animent nous ne savons pas restreindre le mobile patriotique dans de justes limites. C’est ce danger même qu’expriment, dans le langage extrêmement vulgaire de notre époque, ceux qui, sincèrement ou non, disent craindre que ce mouvement ne tourne au fascisme ; car le fascisme est toujours lié à une certaine variété du sentiment patriotique.

La vocation universelle de la France ne peut pas, à moins de mensonge, être évoquée avec une fierté sans mélange. Si l’on ment, on la trahit dans les mots mêmes par lesquels on l’évoque ; si l’on se souvient de la vérité, la honte doit toujours se mêler à la fierté, car il y a eu quelque chose de gênant dans tous les exemples historiques qu’on peut en fournir. Au xiiie siècle, la France a été un foyer pour toute la chrétienté. Mais c’est au début même de ce siècle qu’elle avait détruit pour toujours, au sud de la Loire, une civilisation naissante qui brillait déjà d’un grand éclat ; et c’est au cours de cette opération militaire, en liaison avec elle, qu’a été établie pour la première fois l’Inquisition. C’est là une souillure qui compte. Le xiiie siècle est celui où le gothique s’est substitué au roman, la musique polyphonique au chant grégorien, et, en théologie, les constructions tirées d’Aristote à l’inspiration platonicienne ; dès lors on peut douter que l’influence française en ce siècle ait correspondu à un progrès. Au xviie siècle,