Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/153

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que partiellement réparable, et il ne peut l’être que par une vie locale et régionale autorisée, encouragée sans réserves par les pouvoirs publics dans le cadre de la nation française. D’autre part, la disparition de la nation française, loin de réparer si peu que ce soit le mal de la conquête passée, le renouvelle avec une gravité considérablement accrue ; si des populations ont subi, il y a quelques siècles, une perte de vitalité du fait des armes françaises, elles seront moralement tuées par une nouvelle blessure infligée par les armes allemandes. En ce sens seulement est vrai le lieu commun selon lequel il n’y a pas incompatibilité entre l’amour de la petite patrie et celui de la grande. Car de cette manière un homme de Toulouse peut regretter passionnément que sa ville soit jadis devenue française ; que tant de merveilleuses églises romanes aient été détruites pour faire place à un médiocre gothique d’importation ; que l’Inquisition ait arrêté l’épanouissement spirituel ; et il peut plus passionnément encore se promettre de ne jamais accepter que cette même ville devienne allemande.

De même pour l’extérieur. Si la patrie est considérée comme un milieu vital, elle n’a besoin d’être soustraite aux influences extérieures que dans la mesure nécessaire pour le demeurer, et non pas absolument. L’État cesse d’être de droit divin le maître absolu des territoires dont il a la charge ; une autorité raisonnable et limitée sur ces territoires, émanant d’organismes internationaux et ayant pour objet des problèmes essentiels dont les données sont internationales, cesserait d’apparaître comme un crime de lèse-majesté. Il pourrait aussi s’établir des milieux pour la circulation des pensées, plus vastes que la France et l’englobant, ou liant certains territoires français à des territoires non français. Ne serait-il pas naturel, par exemple, que dans un certain domaine la Bretagne, le pays de Galles, la Cornouaille, l’Irlande, se sentent des parties d’un même milieu ?

Mais de nouveau, plus on est attaché à ces milieux non nationaux, plus on veut conserver la liberté nationale, car de telles relations par-dessus les frontières n’ont pas lieu pour les populations asservies. C’est ainsi que les échanges de culture entre pays méditerranéens ont été incomparablement plus intenses et plus vivants avant qu’après la conquête romaine, alors que tous