Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/187

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tions précises et tout à fait strictes, pousse vers le danger de la même manière qu’un ordre. Elle ne se présente qu’une fois engagé dans l’action et par l’effet de telles ou telles circonstances particulières de l’action. L’aptitude à la reconnaître est d’autant plus grande que l’intelligence est plus claire ; elle dépend plus encore de la probité intellectuelle, vertu infiniment précieuse qui empêche de se mentir pour éviter l’inconfort.

Ceux qui peuvent s’exposer au danger sans la pression d’un ordre ou d’une responsabilité précise sont de trois espèces. Il y a ceux qui ont beaucoup de courage naturel, un tempérament dans une large mesure étranger à la peur, une imagination peu tournée au cauchemar ; ceux-là vont souvent au danger avec légèreté, dans un esprit aventureux, sans dépenser beaucoup d’attention pour choisir le danger. Il y a ceux pour qui le courage est difficile, mais qui en puisent l’énergie dans des mobiles impurs. Le désir d’une décoration, la vengeance, la haine, sont des exemples de ce genre de mobiles ; il y en a un très grand nombre, très différents selon les caractères et les circonstances. Il y a ceux qui obéissent à un ordre direct et particulier venu de Dieu.

Ce dernier cas est moins rare qu’on ne croit ; car là où il existe il est souvent secret, souvent même secret pour l’intéressé lui-même ; car ceux dont c’est le cas sont quelquefois au nombre de ceux qui croient qu’ils ne croient pas en Dieu. Pourtant, quoique moins rare qu’on ne croit, il n’est malheureusement pas fréquent.

Aux deux autres catégories correspond un courage qui, bien que souvent très spectaculaire et honoré du nom d’héroïsme, est très inférieur en qualité humaine à celui du soldat qui obéit aux ordres de ses chefs.

Le mouvement français de Londres a précisément le degré qui convient de caractère officiel pour que les directives envoyées par lui contiennent le stimulant attaché à des ordres, sans pourtant ternir l’espèce d’ivresse lucide et pure qui accompagne le libre consentement au sacrifice.

Il en résulte pour lui des possibilités et des responsabilités immenses.

Plus il y aura en France d’actions accomplies par ses ordres, de gens agissant sous ses ordres, plus la France aura de chances