Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/225

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veilles de courage et d’énergie pour lui. On peut aimer Dieu ainsi. Mais on ne le doit pas. Ou plutôt c’est seulement à une certaine partie de l’âme que cette espèce d’amour est permis, parce qu’elle n’est susceptible d’aucun autre, mais elle doit rester soumise et abandonnée à la partie de l’âme qui vaut davantage.

On peut affirmer sans crainte d’exagération qu’aujourd’hui l’esprit de vérité est presque absent de la vie religieuse.

Cela se constate entre autres dans la nature des arguments apportés en faveur du christianisme. Plusieurs sont de l’espèce publicité pour pilules Pink. C’est le cas pour Bergson et tout ce qui s’en inspire. Dans Bergson la foi apparaît comme une pilule Pink de l’espèce supérieure, qui communique un degré prodigieux de vitalité. Il en est de même pour l’argumentation historique. Elle consiste à dire : « Voyez comme les hommes étaient médiocres avant le Christ. Le Christ est venu, et voyez comme les hommes, malgré les défaillances, ont été ensuite, dans l’ensemble, quelque chose de bien ! » Cela est absolument contraire à la vérité. Mais même si c’était vrai, c’est ramener l’apologétique au niveau des réclames pour spécialités pharmaceutiques, qui décrivent le malade avant et après. C’est mesurer l’efficacité de la Passion du Christ, qui, si elle n’est pas fictive, est nécessairement infinie, par un effet historique, temporel, humain, qui, fût-il même réel, ce qui n’est pas, serait nécessairement fini.

Le pragmatisme a envahi et souillé la conception même de la foi.

Si l’esprit de vérité est presque absent de la vie religieuse, il serait singulier qu’il fût présent dans la vie profane. Ce serait le renversement d’une hiérarchie éternelle. Mais il n’en est pas ainsi.

Les savants exigent du public qu’il accorde à la science ce respect religieux qui est dû à la vérité, et le public les croit. Mais on le trompe. La science n’est pas un fruit de l’Esprit de vérité, et cela est évident dès qu’on fait attention.

Car l’effort de la recherche scientifique, telle qu’elle a été comprise depuis le xvie siècle jusqu’à nos jours, ne peut pas avoir pour mobile l’amour de la vérité.

Il y a là un critère dont l’application est universelle et sûre ;