Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/239

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dans une automobile. Si trois pas sont accomplis sans aucun autre mobile que le désir d’obéir à Dieu, ces trois pas sont miraculeux ; ils le sont également, qu’ils soient exécutés sur le sol ou sur l’eau. Seulement s’ils sont exécutés sur le sol rien d’extraordinaire n’apparaît.

On dit que les histoires de marche sur les eaux et de résurrection de morts sont fréquentes en Inde au point que personne, sauf les badauds, ne se dérangerait pour voir un fait de ce genre. Il est certain en tout cas que les récits sur ces thèmes y sont très fréquents. Ils étaient très fréquents aussi dans la Grèce de la basse époque, comme on peut voir dans Lucien. Cela diminue singulièrement la valeur apologétique des miracles pour le christianisme.

Une anecdote hindoue raconte qu’un ascète, après quatorze ans de solitude, revint voir sa famille. Son frère lui demanda ce qu’il avait acquis. Il l’emmena jusqu’à un fleuve et le traversa à pied sous ses yeux. Le frère héla le passeur, traversa en barque, paya un sou, et dit à l’ascète : « Cela vaut-il la peine d’avoir fait quatorze ans d’efforts pour acquérir ce que je peux me procurer pour un sou ? » C’est l’attitude du bon sens.

Sur l’exactitude des faits extraordinaires racontés dans l’Évangile, on ne peut rien affirmer ou nier qu’au hasard, et le problème est sans intérêt. Il est certain que le Christ possédait certains pouvoirs particuliers ; comment en douterions-nous, puisque nous pouvons vérifier que des saints hindous ou thibétains en possèdent ? Savoir quel est le degré d’exactitude de chaque anecdote particulière ne nous serait pas utile.

Les pouvoirs exercés par le Christ constituaient, non une preuve, mais un chaînon dans l’enchaînement d’une démonstration. Ils étaient le signe certain que le Christ était situé hors de l’humanité ordinaire, parmi ceux qui se sont donnés ou au mal ou au bien. Ils n’indiquaient pas lequel des deux. Mais la discrimination était facile à faire par la perfection manifeste du Christ, la pureté de sa vie, la parfaite beauté de ses paroles, et le fait qu’il exerçait ses pouvoirs seulement pour des actes de compassion. Il résultait de là seulement qu’il était un saint. Mais ceux qui étaient certains qu’il était un saint, quand ils l’entendaient affirmer qu’il était le fils de Dieu, pouvaient hésiter sur le sens