Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/28

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À un degré moindre, les œuvres d’art vraiment belles offrent l’exemple d’ensembles où des facteurs indépendants concourent, d’une manière impossible à comprendre, pour constituer une beauté unique.

Enfin le sentiment des diverses obligations procède toujours d’un désir du bien qui est unique, fixe, identique à lui-même, pour tout homme, du berceau à la tombe. Ce désir perpétuellement agissant au fond de nous empêche que nous puissions jamais nous résigner aux situations où les obligations sont incompatibles. Ou nous avons recours au mensonge pour oublier qu’elles existent, ou nous nous débattons aveuglément pour en sortir.

La contemplation des œuvres d’art authentiques, et bien davantage encore celle de la beauté du monde, et bien davantage encore celle du bien inconnu auquel nous aspirons peut nous soutenir dans l’effort de penser continuellement à l’ordre humain qui doit être notre premier objet.

Les grands fauteurs de violence se sont encouragés eux-mêmes en considérant comment la force mécanique, aveugle, est souveraine dans tout l’univers.

En regardant le monde mieux qu’ils ne font, nous trouverons un encouragement plus grand, si nous considérons comment les forces aveugles innombrables sont limitées, combinées en un équilibre, amenées à concourir à une unité, par quelque chose que nous ne comprenons pas, mais que nous aimons et que nous nommons la beauté.

Si nous gardons sans cesse présente à l’esprit la pensée d’un ordre humain véritable, si nous y pensons comme à un objet auquel on doit le sacrifice total quand l’occasion s’en présente, nous serons dans la situation d’un homme qui marche dans la nuit, sans guide, mais en pensant sans cesse à la direction qu’il veut suivre. Pour un tel voyageur, il y a une grande espérance.

Cet ordre est le premier des besoins, il est même au-dessus des besoins proprement dits. Pour pouvoir le penser, il faut une connaissance des autres besoins.

Le premier caractère qui distingue les besoins des désirs, des fantaisies ou des vices, et les nourritures des gourmandises ou des poisons, c’est que les besoins sont limités, ainsi que les