Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/69

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indéterminés. C’est aussi une nécessité militaire, pour la plus grande aisance du passage de l’état de paix à l’état de guerre. Enfin c’est un facteur favorable pour la joie au travail, car on peut ainsi éviter cette monotonie si redoutée des ouvriers pour l’ennui et le dégoût qu’elle engendre.

En troisième lieu, elle doit normalement correspondre à un travail de professionnel qualifié. C’est là aussi une nécessité militaire, et de plus c’est indispensable à la dignité, au bien-être moral des ouvriers. Une classe ouvrière formée presque entièrement de bons professionnels n’est pas un prolétariat.

Un très grand développement de la machine automatique, réglable, à usages multiples, satisferait dans une large mesure à ces besoins. Les premières réalisations dans ce domaine existent, et il est certain qu’il y a dans cette direction de très grandes possibilités. De telles machines suppriment l’état de manœuvre sur machine. Dans une immense entreprise telle que Renault, peu d’ouvriers ont l’air heureux en travaillant ; parmi ces quelques privilégiés se trouvent ceux qui s’occupent des tours automatiques réglables par des cames.

Mais l’essentiel est l’idée même de poser en termes techniques les problèmes concernant les répercussions des machines sur le bien-être moral des ouvriers. Une fois posés, les techniciens n’ont qu’à les résoudre. Ils en ont résolu bien d’autres. Il faut seulement qu’ils le veuillent. Pour cela, il faut que les lieux où on élabore des machines nouvelles ne soient plus plongés entièrement dans le réseau des intérêts capitalistes. Il est naturel que l’État ait prise sur eux par des subventions. Et pourquoi pas les organisations ouvrières par des primes ? Sans compter les autres moyens d’influence et de pression. Si les syndicats ouvriers pouvaient devenir vraiment vivants, il devrait y avoir des contacts perpétuels entre eux et les bureaux d’études où s’ébauchent des techniques nouvelles. On pourrait préparer de tels contacts en établissant une atmosphère favorable aux ouvriers dans les écoles d’ingénieurs.

Jusqu’ici les techniciens n’ont jamais eu autre chose en vue que les besoins de la fabrication. S’ils se mettaient à avoir toujours présents à l’esprit les besoins de ceux qui fabriquent, la technique entière de la production devrait être peu à peu transformée.