Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/75

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de culture ouvrière ou non ouvrière, mais la culture tout court. Cette observation a eu pour effet, somme toute, de faire accorder aux ouvriers les plus intelligents et les plus avides d’apprendre le traitement qu’on accorde aux lycéens à demi idiots. Les choses ont pu parfois se passer un peu mieux, mais globalement c’est bien là le principe de la vulgarisation, telle qu’on la comprend à notre époque. Le mot est aussi affreux que la chose. Quand on aura quelque chose d’à peu près satisfaisant à désigner, il faudra trouver un autre mot.

Certes, la vérité est une, mais l’erreur est multiple ; et dans toute culture, sauf le cas de perfection, qui pour l’homme n’est qu’un cas limite, il y a mélange de vérité et d’erreur. Si notre culture était proche de la perfection, elle serait située au-dessus des classes sociales. Mais comme elle est médiocre, elle est dans une large mesure une culture d’intellectuels bourgeois, et plus particulièrement, depuis quelque temps, une culture d’intellectuels fonctionnaires.

Si l’on voulait pousser l’analyse dans ce sens, on trouverait qu’il y a dans certaines idées de Marx beaucoup plus de vérité qu’il n’apparaît d’abord ; mais ce ne sont pas les marxistes qui feront jamais une telle analyse ; car il leur faudrait d’abord se regarder dans un miroir, et c’est là une opération trop pénible, pour laquelle les vertus spécifiquement chrétiennes fournissent seules un courage suffisant.

Ce qui rend notre culture si difficile à communiquer au peuple, ce n’est pas qu’elle soit trop haute, c’est qu’elle est trop basse. On prend un singulier remède en l’abaissant encore davantage avant de la lui débiter par morceaux.

Il y a deux obstacles qui rendent difficiles l’accès du peuple à la culture. L’un est le manque de temps et de forces. Le peuple a peu de loisir à consacrer à un effort intellectuel ; et la fatigue met une limite à l’intensité de l’effort.

Cet obstacle-là n’a aucune importance. Du moins il n’en aurait aucune, si l’on ne commettait pas l’erreur de lui en attribuer. La vérité illumine l’âme à proportion de sa pureté et non pas d’aucune espèce de quantité. Ce n’est pas la quantité du métal qui importe, mais le degré de l’alliage. En ce domaine, un peu d’or pur vaut beaucoup d’or pur. Un peu de vérité pure vaut autant