Page:Weil - L’Enracinement, 1949.djvu/83

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petit nombre. La plupart devraient être poussés dans les besognes de manœuvres ou de gratte-papier indispensables aux services publics et au commerce.

Jusqu’à l’âge de se marier et de s’établir chez lui pour la vie — c’est-à-dire, selon les caractères, jusqu’à vingt-deux, vingt-cinq, trente ans —, un jeune ouvrier serait regardé comme étant toujours en apprentissage.

Dans l’enfance, l’école devrait laisser aux enfants assez de loisir pour qu’ils puissent passer des heures et des heures à bricoler autour du travail de leur père. La demi-scolarité — quelques heures d’études, quelques heures de travail — devrait ensuite se prolonger longtemps. Ensuite il faudrait un mode de vie très varié — voyages du mode « Tour de France », séjour et travail tantôt chez des ouvriers travaillant individuellement, tantôt dans de petits ateliers, tantôt dans des ateliers de montage de différentes entreprises, tantôt dans des groupements de jeunesse du genre « Chantiers » ou « Compagnons » ; séjours qui, selon les goûts et les capacités, pourraient se répéter à plusieurs reprises et se prolonger durant des périodes variant de quelques semaines à deux ans, dans des collèges ouvriers. Ces séjours devraient d’ailleurs, à certaines conditions, être possibles à tout âge. Ils devraient être entièrement gratuits, et n’entraîner aucune espèce d’avantage social.

Quand le jeune ouvrier, rassasié et gorgé de variété, songerait à se fixer, il serait mûr pour l’enracinement. Une femme, des enfants, une maison, un jardin lui fournissant une grande partie de sa nourriture, un travail le liant à une entreprise qu’il aimerait, dont il serait fier, et qui serait pour lui une fenêtre ouverte sur le monde, c’est assez pour le bonheur terrestre d’un être humain.

Bien entendu, une telle conception de la jeunesse ouvrière implique une refonte totale de la vie de caserne.

Pour les salaires, il faudrait surtout éviter, d’abord, bien entendu, qu’ils soient bas au point de jeter dans la misère — mais ce ne serait guère à craindre dans de pareilles conditions — puis qu’ils occupent l’esprit et empêchent l’attachement de l’ouvrier à l’entreprise.

Les organismes corporatifs, d’arbitrage, etc., devraient être