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[Dimanche. — Maux de tête, nuit de dimanche à lundi pas dormi.]


Lundi 18. — 2 450 (1 950 à 8 h. 35) — fatiguée en sortant, mais non épuisée.


Mardi 19. — 2 300 (2 000 à 8 h. ¾) — pas forcé — pas fatiguée en sortant mal à la tête tte la journée.


Mercredi 20. — 2 400 (2 000 à 8 h. 35), très fatiguée. Le petit salaud de régleur me dit qu’il en faut plus de 3.000.


Jeudi 21. — Vais à la boîte avec un sentiment excessivement pénible ; chaque pas me coûte (moralement, au retour, c’est physiquement). Suis dans cet état de demi-égarement où je suis une victime désignée pour n’importe quel coup dur… De 2 h. ½ à 3 h. 35, 400 pièces. De 3 h. 35 à 4 h. ¼, temps perdu par le monteur à casquette — (il me refait mes loups) — Grosses pièces — lent et très dur à cause de la nouvelle disposition de la manivelle de l’étau. Ai recours au chef — Discussion — Reprends — Me fraise le bout du pouce (le voilà, le coup dur) — Infirmerie — Finis les 500 à 6 h. ¼ — Plus de pièces pour moi (je suis si fatiguée que j’en suis soulagée !). Mais on m’en promet. En fin de compte, je n’en ai qu’à 7 h. ½ et seulement 500 (pour finir les 1 000). [Le type blond a bien peur que je ne me plaigne au contremaître.] À 8 h., 245. Fais les 500 gros, en souffrant beaucoup, en 1 h. ½. 10 m. pour le montage. C’est une autre partie de la fraise qui fonctionne : ça va ; je fais 240 petits en ½ h. exactement. Libre à 9 h. 40. Mais gagné 16 fr. 45 !!! (non, grosses pièces un peu plus payées). M’en vais fatiguée…

1er repas avec les ouvrières (le casse-croûte).

Le monteur à casquette : « S’il touche à votre machine, envoyez-le promener… Il démolit tout ce qu’il touche… ».

Il me donne ordre de transporter une caisse de 2 000 pièces. Je lui dis : « Je ne peux pas la bouger seule. — Débrouillez-vous. Ça n’est pas mon boulot. »

À propos des pièces qu’on me fait attendre, la commençante : « Le contremaître a dit que si on attendait, on devait prendre en compensation sur le salaire de celle qui vous fait attendre. »