Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/114

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fraise pourtant toute neuve. Lucien (r. béret) me dit encore (plus doucement) que j’appuie trop. Mais je suis sûre qu’en fait il n’a pas assez serré. Quoi qu’il en soit, comme la fraise s’était déjà déréglée vendredi soir sans que je m’en sois aperçue, au point qu’un certain nombre de pièces n’ont même pas été touchées par la fraise, je dois perdre du temps à trier et à refaire. Je perds aussi un bon quart d’heure (au moins) à accompagner l’Espagnole qui cherche un plein seau de savon lubrifiant pour sa nouvelle machine, trop lourd pour être porté par elle seule, et que le manœuvre chargé d’en donner fait poser. Et après — quant à la vitesse — je suis malgré tout démoralisée par les reproches de Lucien. Je sais que si ça se reproduit, les choses iront mal. Et comme toujours quand je ne bande pas toutes mes forces, sans arrière-pensée, vers la cadence rapide, je ralentis. Quoi qu’il en soit, cela fait tout de même 4 × 4 = 16 fr. + 2 fr. (?) de montage (2 cartons).

Vis laiton (7.050.010 | 4 000 à 4 fr.|. Ensuite 400 pièces (sur 1 000, l’Esp. fait les 600 autres) dont je n’aurai le carton que mercredi.

Vis blocage acier | 774.815 | 000.987 | 400 à 0 fr. 50 % | m. 1 fr. 25 | fr. 1,2. Je les fais sur la petite machine de l’Espagnole, placée ailleurs. Le régl. à lunettes fait le montage pendant que je finis mes vis de laiton. ( Peu avant midi, alors que je ne savais pas encore qu’il préparait ça pour moi, il m’a donné ordre de changer la fraise et chercher les pièces sur un ton d’autorité sans réplique auquel j’ai obéi sans rien dire, mais qui a suffi pour faire monter en moi, à la sortie, le flot de colère et d’amertume qu’au cours d’une pareille existence on a constamment au fond de soi, toujours prêt à refluer sur le cœur. Je me suis reprise cependant. C’est un incapable (manœuvre spécialisé, dit l’Espagnole ?), il faut bien qu’il parle en maître.

Je les commence à 1 h. ¾. La machine m’est nouvelle. J’y passe, je crois bien, près d’1 h. (l’Espagnole, elle, fera les 600 en 20 m. !) Après, je vais demander le carton. Ça perd du temps. (Il n’y en a pas.) Un jeune homme vient prendre les 400 pièces. Je vais dire à Leclerc qu’il n’y a pas de carton. Quelqu’un que je ne connais pas (blouse grise) lui parle familièrement, et, autant que je comprends, d’une engueulade qu’il risque, lui, Leclerc. Il semble mécontent de me voir là (ça se comprend),