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Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/143

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se montrent durs, simplement parce qu’ils ne comprennent pas. La nature humaine est faite comme ça. Les hommes ne savent jamais se mettre à la place les uns des autres.

Peut-être qu’ils trouveront moyen de remédier au moins en partie à certaines des souffrances que vous aurez signalées. Ils montrent beaucoup d’ingéniosité dans la fabrication des cuisinières, vos chefs. Qui sait s’ils ne pourraient pas faire aussi preuve d’ingéniosité dans l’organisation de conditions de travail plus humaines ? La bonne volonté ne leur manque sûrement pas. La meilleure preuve, c’est que ces lignes paraissent dans Entre Nous.

Malheureusement leur bonne volonté ne suffit pas. Les difficultés sont immenses. Tout d’abord l’impitoyable loi du rendement pèse sur vos chefs comme sur vous ; elle pèse d’un poids inhumain sur toute la vie industrielle. On ne peut pas passer outre. Il faut s’y plier, aussi longtemps qu’elle existe. Tout ce qu’on peut faire provisoirement, c’est d’essayer de tourner les obstacles à force d’ingéniosité ; c’est chercher l’organisation la plus humaine compatible avec un rendement donné.

Seulement voici ce qui complique tout. Vous êtes ceux qui supportez le poids du régime industriel ; et ce n’est pas vous qui pouvez résoudre ou même poser les problèmes d’organisation. Ce sont vos chefs qui ont la responsabilité de l’organisation. Or vos chefs, comme tous les hommes, jugent les choses de leur point de vue et non du vôtre. Ils ne se rendent pas bien compte de la manière dont vous vivez. Ils ignorent ce que vous pensez. Même ceux qui ont été ouvriers ont oublié bien des choses.

Ce que je vous propose vous permettrait peut-être de leur faire comprendre ce qu’ils ne comprennent pas, et cela sans danger et sans humiliation pour vous. De leur côté, peut-être qu’en réponse ils se serviront à leur tour d’Entre Nous. Peut-être vous feront-ils part des obstacles que leur imposent les nécessités de l’organisation industrielle.

La grande industrie est ce qu’elle est. Le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’elle impose de dures conditions d’existence. Mais il ne dépend ni de vous ni des patrons de la transformer dans un avenir prochain.

Dans une pareille situation, voici, il me semble, quel serait l’idéal. Il faudrait que les chefs comprennent quel est au juste le sort des hommes qu’ils utilisent comme main-d’œuvre. Et il faudrait que leur préoccupation domi-