Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/212

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entièrement, a pris des proportions désastreuses pour le mouvement syndical. Les patrons n’ont plus peur, comme en juin, que l’usine tourne sans eux. L’expérience a été faite à Lille. Dans une usine de 450 ouvriers, le patron, ayant décidé le lock-out parce que les ouvriers ne voulaient pas permettre le renvoi du délégué principal, a abandonné l’usine ; les techniciens et employés, tous syndiqués à la C. G. T., l’ont tous suivi, et les ouvriers, après avoir essayé pendant deux jours de faire marcher l’usine seuls, ont dû renoncer. Une telle expérience change d’une manière décisive le rapport des forces.



Rôle des délégués ouvriers.


Les délégués ouvriers ont joué un rôle de premier plan dans cette évolution. Élus pour veiller à l’application des lois sociales, ils sont bientôt devenus un pouvoir dans les usines et se sont considérablement écartés de leur mission théorique. La cause doit en être cherchée d’une part dans la panique qui a saisi les patrons après juin et les a parfois amenés à une attitude voisine de l’abdication, d’autre part dans le cumul des fonctions propres des délégués et de fonctions syndicales qui n’ont jamais été prévues par aucun texte. Les délégués sont peu à peu apparus aux ouvriers comme une émanation de l’autorité syndicale, et les ouvriers, habitués depuis des années à l’obéissance passive, peu entraînés à la pratique de la démocratie syndicale, se sont accoutumés à recevoir leurs ordres.

L’assemblée des délégués d’une usine ou d’une localité remplace ainsi en fait dans une certaine mesure l’assemblée générale d’une part, d’autre part les organismes proprement syndicaux. C’est ainsi qu’à Maubeuge les délégués d’une usine, s’étant réunis pour examiner les moyens d’imposer aux patrons la conclusion du contrat collectif, ont envisagé de proposer à l’assemblée des délégués de Maubeuge un ralentissement général de la production ; et le lendemain un des délégués de cette usine a pris sur lui d’ordonner à son équipe de diminuer la cadence du travail. À Lille, quand le bureau du syndicat a décidé la généralisation de la grève, il a convoqué les délégués pour leur transmettre le mot d’ordre. Un délégué qui ordonne un débrayage au secteur qu’il représente est immédiatement obéi. Ainsi les délégués ont un pouvoir double ; un