Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/74

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était pressée, le montage, peut-être difficile, était à refaire, tout le monde était énervé par des accidents similaires arrivés les jours précédents (et peut-être le jour même ?). Le chef d’équipe, bien entendu, m’engueule comme un adjudant qu’il est, mais collectivement, en quelque sorte (« c’est malheureux d’avoir des ouvrières qui… »). Mimi qui me voit désolée, me réconforte gentiment. Il est 11 h. ¾.

Après-midi (vifs maux de tête). Arrêt j. 3 h. ½. 500 pièces, encore des ronds à couper dans des bandes (quelle malchance !), mais à petite presse à main. Je suis horriblement énervée par la crainte de recommencer. Effectivement, je passe plus d’une fois la bande un peu au-dessus de la butée au 1er coup de pédale, mais il n’en résulte rien ; à chaque fois je tremble… Jacquot a retrouvé ses sourires (je dois faire appel à lui pour quelques caprices de la machine, qui refuse de se mettre en marche, ou bien fonctionné n. fois de suite pour un coup de pédale), mais je n’ai plus le cœur d’y répondre.

Incident entre Joséphine (la rouquine) et Chatel. On lui a donné, paraît-il, un boulot très peu rémunérateur (à la presse à côté de la mienne, qui est celle à boutons en face le bureau du chef). Elle rouspète. Chatel l’engueule comme du poisson pourri, très grossièrement, il me semble (mais je ne discerne pas bien les paroles). Elle ne réplique rien, se mord les lèvres, dévore son humiliation, réprime visiblement une envie de pleurer et, sans doute, une envie plus forte encore de répondre avec violence. 3 ou 4 ouvrières assistent à la scène, en silence, ne retenant qu’à moitié un sourire (Eugénie parmi elles). Car si Joséphine n’avait pas ce mauvais boulot, l’une d’elles l’aurait ; elles sont donc bien contentes que Joséphine se fasse engueuler, et le disent ouvertement, plus tard, à l’arrêt — mais non pas en sa présence. Inversement Joséphine n’aurait vu aucun inconvénient à ce qu’on refile le mauvais boulot à une autre.

Conversations à l’arrêt (je devrais les noter toutes). Sur les maisons de banlieue (sœur de Mimi et Joséphine). Quand Nénette est là, il n’y a le plus souvent que des plaisanteries et des confidences à faire rougir tout un régiment de hussards. (Cf. celle dont l’ « ami » est peintre [mais elle vit seule], et qui se vante de coucher avec lui 3 fois par jour, matin, midi et soir ; qui explique la différence entre la « technique » dudit et celle d’un autre — qui