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Page:Weil - La Connaissance surnaturelle, 1950.djvu/81

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des nécessités d’un récit fait en langage humain. Mais la créature en étant créée s’est préférée à Dieu. Autrement, y aurait-il eu création ? Dieu a créé parce qu’il était bon, mais la créature s’est laissé créer parce qu’elle était mauvaise. Elle se rachète en persuadant Dieu à force de prières de la détruire.


Si on a faim, on mange, non pour l’amour de Dieu, mais parce qu’on a faim.

Si un inconnu effondré au bord de la route a faim, il faut lui donner à manger, quand même on n’aurait pas assez pour soi, non pas pour l’amour de Dieu, mais parce qu’il a faim.

C’est cela, aimer le prochain comme soi-même.

Donner « pour Dieu », aimer l’autre « pour Dieu », « en Dieu », ce n’est pas l’aimer comme soi-même. On s’aime soi-même par l’effet d’une sensibilité animale,

Il faut que cette sensibilité animale elle-même devienne chose universelle. Cela est contradictoire. Miraculeux. Surnaturel.

La contradiction, l’impossibilité est le signe du surnaturel.

On ne s’aime pas « pour Dieu », « en Dieu », mais on juge légitime l’amour de soi que la nature met au fond de l’âme pour autant qu’on est une créature de Dieu.

De même pour l’amour du prochain.

Tout être pensant est digne d’amour seulement pour autant qu’il a reçu l’existence de l’acte créateur de Dieu et possède la capacité de renoncer à cette existence par amour pour Dieu. J’ai le droit d’aimer moi-même ou autrui seulement à ce titre.

Dieu seul est le bien, seul donc Il vaut la peine d’être l’objet de soins, de la sollicitude, des soucis, des désirs, des élans de la pensée. Seul Il vaut la peine d’être l’objet de tous ces mouvements de l’âme qui ont rapport à quelque valeur. Seul Il a une affinité avec ce mouvement vers le bien, ce désir du bien qui est le centre même de mon être.

Quant à cette créature qu’on appelle moi, elle n’est