Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/153

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La misère humaine contient le secret de la sagesse divine, et non pas le plaisir. Toute recherche d’un plaisir est recherche d’un paradis artificiel, d’une ivresse, d’un accroissement. Mais elle ne nous donne rien, sinon l’expérience qu’elle est vaine. Seule la contemplation de nos limites et de notre misère nous met un plan au-dessus.

« Qui s’abaisse sera élevé. »

Le mouvement ascendant en nous est vain (et pire que vain) s’il ne procède pas d’un mouvement descendant.

Statera facta corporis. C’est le corps crucifié qui est une balance juste, le corps réduit à son point dans le temps et l’espace.

Ne pas juger. À la manière du Père des cieux qui ne juge pas : par lui les êtres se jugent. Laisser venir à soi tous les êtres, et qu’ils se jugent eux-mêmes. Être une balance.

On ne sera pas jugé alors, étant devenu une image du véritable juge qui ne juge pas.

Quand l’univers pèse tout entier sur nous, il n’y a pas d’autre contrepoids possible que Dieu lui-même — le vrai Dieu, car les faux dieux n’y peuvent rien, même sous le nom du vrai. Le mal est infini au sens de l’indéterminé : matière, espace, temps. Sur ce genre d’infini, seul le véritable infini