Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/158

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est un autre, un inconnu. De même, nous confondons le relatif avec l’absolu, les choses créées avec Dieu.

Tous les mobiles particuliers sont des erreurs. L’énergie qui n’est fournie par aucun mobile est seule bonne : l’obéissance à Dieu, c’est-à-dire, pour autant que Dieu déborde tout ce que nous pouvons imaginer ou concevoir, l’obéissance à rien. Cela est impossible et nécessaire à la fois — autrement dit surnaturel.

Un bienfait. C’est une bonne action si, en l’accomplissant, on a conscience avec toute l’âme qu’un bienfait est chose absolument impossible.

Faire le bien. Quoi que je fasse, je sais d’une manière parfaitement claire que ce n’est pas le bien. Car celui qui n’est pas bon ne fait pas le bien. Et « Dieu seul est bon »…

Dans toute situation, quoi qu’on fasse, on fait mal, et un mal intolérable.

Il faut demander que tout le mal qu’on fait tombe seulement et directement sur soi. C’est la croix.

Est bonne l’action qu’on peut accomplir en maintenant l’attention et l’intention totalement orientées vers le bien pur et impossible, sans se voiler par aucun mensonge ni l’attrait ni l’impossibilité du bien pur.

Par là, la vertu est tout à fait analogue à l’inspiration artistique. Est beau, le poème qu’on compose en maintenant l’attention orientée vers l’inspiration inexprimable, en tant qu’inexprimable.