Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ricorde, le monde créé est œuvre de miséricorde. Mais quant à constater cette miséricorde directement dans la nature, il faut se rendre aveugle, sourd, sans pitié pour croire qu’on le peut. Aussi les Juifs et les Musulmans, qui veulent trouver dans la nature les preuves de la miséricorde divine, sont-ils impitoyables. Et les chrétiens souvent aussi.

C’est pourquoi la mystique est la seule source de la vertu d’humanité. Car ne pas croire que derrière le rideau du monde il y ait une miséricorde infinie ou croire que cette miséricorde est devant le rideau, ces deux choses rendent cruel.

Il y a quatre témoignages de la miséricorde divine ici-bas. Les faveurs de Dieu aux êtres capables de contemplation (ces états existent et font partie de leur expérience de créatures). Le rayonnement de ces êtres et leur compassion qui est la compassion divine en eux. La beauté du monde. Le quatrième témoignage est l’absence complète de miséricorde ici-bas[1].

Incarnation. Dieu est faible parce qu’il est impartial. Il envoie les rayons du soleil et la pluie sur les bons comme sur les méchants. Cette indifférence du Père et la faiblesse du Christ se répondent. Absence de Dieu. Le royaume des cieux est comme un grain de sénevé… Dieu ne

  1. C’est précisément par cette antithèse, ce déchirement entre les effets de la grâce en nous, la beauté du monde autour de nous et l’implacable nécessité qui régit l’univers que nous percevons Dieu à la fois comme présent à l’homme et comme absolument irréductible à toute mesure humaine.