Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/235

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Israël a résisté à Rome parce que son Dieu, bien qu’immatériel, était un souverain temporel au niveau de l’Empereur, et c’est grâce à cela que le christianisme a pu naître. La religion d’Israël n’était pas assez élevée pour être fragile et, grâce à cette solidité, elle a pu protéger la croissance de ce qui est le plus élevé[1].

Il était nécessaire qu’Israël ignorât l’idée de l’Incarnation pour que la Passion fût possible. Rome aussi (ce furent peut-être les deux seuls peuples à l’ignorer). Mais il fallait pourtant qu’Israël eût quelque part à Dieu. Toute la part possible sans spiritualité ni surnaturel. Religion exclusivement collective. C’est par cette ignorance, par ces ténèbres qu’il fut le peuple élu. Ainsi peut-on comprendre la parole d’Isaïe : « J’ai endurci leur cœur pour qu’ils n’entendent pas ma parole. »

C’est pour cela que tout est souillé de péché dans Israël, parce qu’il n’y a rien de pur sans participation à la divinité incarnée, et pour que le manque d’une telle participation fût manifeste.

La grande souillure n’est-elle pas la lutte de Jacob avec l’ange : « L’Éternel… fera justice de Jacob selon ses œuvres. Dès le sein maternel, il

  1. Reconnaître, comme le fait ici Simone Weil, d’une part qu’il y a eu, dans l’histoire d’Israël, des éclairs de mystique pure (Isaïe, etc.) et d’autre part que le christianisme naissant a été protégé par sa « coquille » juive, c’est déjà légitimer la mission divine d’Israël.