Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/244

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comme impossible, il transporte dans l’éternel.

Le possible est le lieu de l’imagination, et par suite de la dégradation. Il faut vouloir ou ce qui précisément existe ou ce qui ne peut pas du tout exister, mieux encore les deux. Ce qui est et ce qui ne peut pas être sont l’un et l’autre hors du devenir. Le passé, quand l’imagination ne s’y complaît pas — au moment où quelque rencontre le fait surgir dans sa pureté — est du temps à couleur d’éternité. Le sentiment de la réalité y est pur. C’est là la joie pure. C’est là le beau. Proust.

Le présent, nous y sommes attachés. L’avenir, nous le fabriquons dans notre imagination. Seul le passé, quand nous ne le refabriquons pas, est réalité pure.

Le temps, par son cours, use et détruit ce qui est temporel. Aussi y a-t-il plus d’éternité dans le passé que dans le présent. Valeur de l’histoire bien comprise, analogue à celle du souvenir dans Proust. Ainsi le passé nous présente quelque chose qui est à la fois réel et meilleur que nous, et qui peut nous tirer vers le haut, ce que l’avenir ne fait jamais.

Passé : du réel, mais absolument hors de notre portée, vers quoi nous ne pouvons faire un pas, vers quoi nous pouvons seulement nous orienter pour qu’une émanation de cela vienne à nous. Par là, c’est l’image par excellence de la réalité éternelle, surnaturelle.

Est-ce pour cela qu’il y a joie et beauté dans le souvenir comme tel ?