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ACCEPTER LE VIDE

« Nous croyons par tradition au sujet des dieux, et nous voyons par expérience au sujet des hommes que toujours, par une nécessité de nature, tout être exerce tout le pouvoir dont il dispose » (Thucydide). Comme du gaz, l’âme tend à occuper la totalité de l’espace qui lui est accordé. Un gaz qui se rétracterait et laisserait du vide, ce serait contraire à la loi d’entropie. Il n’en est pas ainsi du Dieu des chrétiens. C’est un Dieu surnaturel au lieu que Jévovah est un Dieu naturel.

Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c’est supporter le vide. Cela est contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut.

La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide.

Nécessité d’une récompense, de recevoir l’équivalent de ce qu’on donne. Mais si, faisant violence à cette nécessité, on laisse un vide, il se produit comme un appel d’air, et une récompense surnaturelle survient. Elle ne vient pas si on a un autre salaire : ce vide la fait venir.

De même pour la remise des dettes (ce qui ne concerne pas seulement le mal que les autres