Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/71

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Le Christ a eu toute la misère humaine, sauf le péché. Mais il a eu tout ce qui rend l’homme capable de péché. Ce qui rend l’homme capable de péché c’est le vide. Tous les péchés sont des tentatives pour combler des vides. Ainsi ma vie pleine de souillures est proche de la sienne parfaitement pure, et de même pour les vies beaucoup plus basses. Si bas que je tombe, je ne m’éloignerai pas beaucoup de lui. Mais cela, si je tombe, je ne pourrai plus le savoir.

Poignée de main d’un ami revu après une longue absence. Je ne remarque même pas si c’est pour le sens du toucher un plaisir ou une douleur : comme l’aveugle sent directement les objets au bout de son bâton, je sens directement la présence de l’ami. De même les circonstances de la vie, quelles qu’elles soient, et Dieu.

Cela implique qu’il ne faut jamais chercher une consolation à la douleur. Car la félicité est au delà du domaine de la consolation et de la douleur. Elle est perçue avec un autre sens, comme la perception des objets au bout d’un bâton ou d’un instrument est autre que le toucher proprement dit. Cet autre sens se forme par le déplacement de l’attention au moyen d’un apprentissage où l’âme tout entière et le corps participent.

C’est pourquoi dans l’Évangile : « Je vous dis que ceux-là ont reçu leur salaire. » Il ne faut pas de compensation. C’est le vide dans la sensibilité qui porte au delà de la sensibilité.